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Les Hommages Frais de Touraine
27 juin 2012

L'homme qui humait la pipe en coin

pipe5copie

Aujourd’hui c'est la journée mondiale des Donneurs de leçons et Philippe Libbrechts s’est levé d’un bon pied.

Depuis plus de vingt ans qu’il exerce, il est passé maître dans l'art d'expliquer par A plus B que 2 plus 2 font 4. Et en cette journée mondiale, il est fier d’arborer son brassard de Donneur universel AB +.

"Psst, permettez… J’ai ma carte !" annonce-t-il, en guise d’introduction, lorsqu'il s’immisce à coudées franches dans une conversation de plus de trois personnes.

Un Donneur de leçons universel navigue à vue dans son environnement, toujours prêt à sortir de sa trousse son fameux "Tu sais, moi, si j’étais à ta place » ou son "Ce n’est pas mes oignons mais…".

Sa méthode est rodée : la pipe en coin, il commence par humer ici et là la teneur des conversations en cours. Hum, hum. Sports, Politique intérieure, Crottes de chiens, Alcoolémie au volant, Déremboursement des médicaments génériques, Retard dans la tournée des facteurs, Bâtiment & Construction, Insécurité, Auto-défense, Dépénalisation du cannabis, Nouvelles Technologies, Téléphonie, Marché immobilier, Retraites des fonctionnaires, Automobile… Hum, hum.

"Il n'y a pas de mauvais sujet pour un Donneur de leçons, aime-t-il pérorer doctement, le tout c'est de savoir s'impliquer".

…Car un Donneur de leçons chevronné pérore comme il respire, si ce n'est pire. Et Philippe Libbrechts est capable de pérorer sur tous les terrains, même s’il le concède, le concept du Vide dans la philosophie extrême-orientale "n’est pas vraiment sa tasse de thé".

Aujourd’hui, précisément, le Café de la Poste faisant foi, notre illustre donneur se faufile entre les grappes de consommateurs du-dit établissement, ne lâchant rien aux conversations ambiantes. Parmi ces indigents du savoir, Philippe Libbrechts est à l’affût d’un sujet à sa pointure, un sujet qui ferait débat, où il pourrait intervenir, comme un pompier de service.

Ici on parle de l’équipe de France de foot, ailleurs on parle du remboursement de la dette extérieure, un peu plus loin du Trou dans la couche d’ozone et, à deux pas, du Trou de la Sécurité Sociale… Confiant, Philippe sait qu’il pourra faire le sien dans n’importe quelle conversation. Il est certain qu’il pourra à l’envi (même à ceux qui n’ont pas envie) dispenser l’acuité de son jugement.

Mais tout bien pesé, cette certitude n'est pas très excitante. En cette journée mondiale, les sujets offerts apparaissent bien pauvres... La pipe renfrognée au coin des lèvres lui donne l’air de celui qui réfléchit. Hum, hum. Tel le héron de la fable, il ne veut pas gâcher son talent pour du menu fretin. 

A force de glisser d’un groupe à l’autre, Philippe finit par échouer au fond du bar, non loin de la porte accédant aux toilettes. C’est là, entre trois quidams de seconde zone, qu’une conversation s’impose à lui. Le sujet est précisément la Journée des Donneurs de Leçons et, de façon plus générale, toutes ces « journées mondiales de… » inventées par d'occultes autorités afin sans doute de pimenter la monotonie de nos calendriers.

Hum, hum. Le sourcil froncé et la bouche pincée, Philippe Libbrechts les entend citer à qui mieux mieux : Journée mondiale de la gentillesse… Journée mondiales des câlins… Journée internationale des zones humides… Journée de la plomberie… Journée mondiale du lupus… Journée officielle des gauchers… Journée mondiale du tricot… Journée de la morue…  Journée de l’amour de soi…

Dieu sait par quel hasard, nos trois gaillards en connaissent un rayon ! A croire qu'ils ont déniché quelque part la liste officielle. Agacé, notre Donneur de leçons n’a ni la faculté ni l’envie d'alimenter ces énumérations stériles. Il préfère user d’une technique infaillible.

Sa pipe en coin qu'il soupèse avec doigté, confère une légitimité professorale à tous les mots qu'il peut prononcer.

-"Hum, hum. Mais on tombe dans le n’importe quoi, là !.." déclare-t-il devant les trois érudits ahuris, ajoutant, pour le panache, ce trait d’humour :

-"Vous verrez… un jour on inventera la Journée mondiale des Cons !"

Et toc, ça c’est envoyé. Pourtant personne ne rit. Silence.

Les trois élèves s’échangent un regard interrogatif, qui peut se traduire par :

"Ah bon ? Mais... Elle n'existe pas déjà, cette journée ? Enfin… sous un autre nom, bien sûr." 

Et tout le monde (ou presque) sait que cette journée c’est aujourd’hui.

 

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Commentaires
A
Encore un billet bien agréable à lire ! Merci pour ce bon moment de lecture cher parrain !
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