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Les Hommages Frais de Touraine
19 mars 2012

L'homme qui déchira son ticket de metro

 

fashion4

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Jean-Claude Vandierendonck s'habillait en gris. Gris souris, gris zinc, gris serpillière, le gris le préparait à la vieillesse, à la couleur des cendres, des tombes et du moment où, tôt ou tard, il lui faudrait descendre.

La vie, il la voyait de la fenêtre du 7ème étage... Des journées entières à tapoter sur son clavier et déverser des pluies de chiffres dans les colonnes de ses tableurs. Sombre héros de bureau, soufflant les jeudi mous, les jeudi noirs de savoir que les 11 septembre ne tombent pas tous les jours, loin de là.

Jean-Claude aurait pu passer et trépasser tout en nuance sur l'infinité des gris, s'il n'avait croisé un jour une jeune collègue pimpante et pas pimbêche. Une bouche en fraise, des yeux aussi limpides que l'eau bénite et des cheveux de jais, tellement noirs que cela pouvait compter comme une couleur.


En équilibre sur des talons aiguilles, elle était une représentation assez éloquente de la séduction féminine, épinglée d'atours piqués à des créateurs inspirés. La belle assurément ne faisait que passer dans les couloirs pitoyables du business ordinaire. Sous elle, des ailes frétillantes ne demandaient qu'à l'élever vers les lumières. Barbarella au coeur gros comme ça, poupée de strass aux sourires désarmants, elle promenait les frêles postures d'une Sainte-Bernadette, tombée là par hasard pour accomplir une mission.

On dit souvent que les extrêmes s'apprivoisent, cette histoire en est l'illustration. La petite Ana (c'était son prénom) avait décidé de s'occuper du cas Jean-Claude. Elle s'était fixée pour sacerdoce d'emmener Monsieur Tout Gris vers les canons de la mode, du zéro défaut et de la brillance intérieure. C'était son credo, elle y croyait : recourir à des remèdes Fashion-Choc pour soigner les blessures de l'être.


- "Tu comprends, quand tu te sens bien dans tes fringues, tu te sens bien dans ton corps et bien dans ta vie, alors tout rayonne autour de toi et la vie est plus beeeeelle !!!  Je vais te faire ton dress-code de la séduction... Total relooking, my guy, one way ticket to the glamoûûûr life !"   


Elle avait le chic pour truffer ses recommandations d'anglicismes dont Jean-Claude ne comprenait pas le sens mais trouvait plaisants à l'oreille.

- "Learn how to be like the metrosexuals !.."
- Metrosexual ? C'est quoi ça ?
- Metrosexuel : c'est un homme qui aime prendre soin de sa personne avec autant d'implication que s'il s'agissait de sa voiture. C'est le citadin moderne qui s'assume, en somme. Bien dans ses shoes, bien dans son body, bien dans sa city...  Tu vois ?

Fort de cette précision, Jean-Claude se dit une bonne fois que sa bonne fée Ana avait l'air d'en connaître un rayon et qu'il pouvait suivre ses petits pas pour accéder aux antipodes du boulot dodo.


- "A éviter : le détail qui flingue au 1er regard. Tes chemisettes à manches courtes tu oublies. Les grosses godasses à bout rond tu oublies aussi. Les caleçons c'est complètement ringard tu oublies aussi. Et puis c'est quoi cette petite moustache en ticket de métro, tu oublies ça... No regret !"


"Tu oublies, tu oublies". Elle disait ça en dessinant des figures avec les bras : des X pour "interdit" et des T pour "stop" qui rappelaient les techniques ancestrales du body combat. Si Jean-Claude avait suivi à la lettre ces recommandations, sans doute l'aurions-nous vu se balader tout nu.


- Tu m'appelles un samedi et on fait les boutiques... Je vais te relooker complètement. J'adore ça !
- Oooh ! Attends ! Pas question de claquer des fortunes, hein ?
- Mais non, je t'assure ! Combien tu peux mettre, en budget ?
- Je sais pas... 200 euros ça va ?
Silence.
 - Aïe c'est very just !.. Avec ça tu vas pas loin ! T'as juste de quoi te chausser !
- Eh bien ce serait déjà pas si mal...
- Enfin je veux dire : tu aurais une chaussure.
- Ah ouais je comprends, à cloche pied je ne risque pas d'aller très loin...
- Et ton parfum ?.. Tu as TON parfum au moins  ?  Ou non ?
- Euh, enfin, ça dépend des échantillons que je récupère par ci, par là...

Toute son éducation était à faire ! Pour Ana, Jean-Claude représentait l'homo erectus dans toute sa primeur. Une matière brute intacte. Le cas d'école, idéal pour ses expérimentations.


En quelques mois, tandis que sa carte bleue passait au rouge, on vit ainsi Jean-Claude se métamorphoser, prendre les couleurs de la vie. Jean-Claude était gai comme un pinson, comme une plante qui aurait fleuri. C'était beau à voir, cette renaissance. Jean-Claude se pomponnait, Jean-Claude se pouponnait, Jean-Claude se bichonnait. Tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes. Tout participait à faire de cette histoire un joli conte de fée, si... Jean-Claude n'avait pas une femme à la maison !


 Légitimement Marie-Ange se demandait ce qui arrivait à son bonhomme. Elle en eut la révélation le jour où elle surprit son Jean-Claude dans la salle de bains, le visage enduit de crème de jour hydratante.


- Il y a une femme là-dessous ! Je suis sûre qu'il y a une femme là-dessous !
- Marie-Ange, ce n'est pas ce que tu crois, et puis je fais ça pour toi aussi, enfin pour nous deux. Regarde : je ne te plais pas davantage comme ça ?


Marie-Ange le considéra d'un air bovin. Et Jean-Claude se remémora les paroles de sa muse : "Si tu te sens bien dans tes fringues, tu te sens bien dans ta tête et tu rayonnes et tout autour de toi tout le monde rayonne, tu vois ?.." Non il ne voyait plus très bien, ça commençait à ne plus être très clair dans sa tête.


- Evidemment tu ne peux pas comprendre, tu n'as jamais entendu parler de metrosexuel.
- Qu'est-ce que c'est que ce truc ????  Quand je te dis que cette femme te fait faire des choses pas très claires !
- Mais non... mon ange, bredouilla Jean-Claude, un metrosexuel, c'est tout simplement un  homme qui aime prendre soin de sa personne comme s'il s'agissait de sa voiture. C'est le citadin moderne qui s'assume, en somme. Bien dans ses shoes, bien dans son body, bien dans sa city...  Tu vois ?


Marie-Ange voyait surtout les taches rouges que Jean-Claude affichait autour des yeux depuis quelques jours... Effets indésirables d'une crème anti-ride appliquée sans discernement. "Eviter le contour des yeux" était-il précisé sur le tube, mais Jean-Claude avait badigeonné son épiderme avec l'ardeur généreuse d'un carrossier-tôlier. Des champs de veinules écarlates brûlaient ses pommettes et le faisaient ressembler à un fier adepte du muscadet matinal.


Les explications bafouillées ne réussirent pas à lever les doutes. Une petite scène de ménage plus tard, Jean-Claude se résigna à réintégrer sa grisaille naturelle. Dans son expérience metro, Jean-Claude est descendu à la première station.

 

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Commentaires
F
tiens çà me fait penser à quelqu'un que j'connais...
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