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Les Hommages Frais de Touraine
5 avril 2012

L'Homme qui avait les boules (une fois par semaine)

tabacloto2 copie

 

 

 

 

 

 

 

 

L’histoire de Gilbert Terlinck se déroule en pointillés. La vie qu’il mène est plate comme le Vittel. Exceptée une montée d’adrénaline de fréquence hebdomadaire. A l'instar de ces animaux hibernant une grande partie de leur temps, Gilbert ne vit que quelques heures par semaine, à l'approche du tirage de la super cagnotte.

Il faut le voir, l'ami Gilbert quand il remonte la rue de la Victoire, la démarche hautaine. La grille qu’il a en poche fait de lui un milliardaire en puissance et ce sentiment le porte à voir l’avenir avec un détachement royal. Envolée la noirceur de son quotidien saumâtre. Oubliée sa vie étriquée : tandis qu'il avance vers le tabac-loto, un spasme presque douloureux tend ses membres, de la nuque au bas ventre. Ses muscles sont tendus comme un arc. Bon Dieu que c'est difficile d'avoir l'air de ne pas avoir l'air, de marcher comme si de rien n'était.

Pour arriver à cette certitude, Gilbert est passé par la prière, les cierges, la numérologie et par de fumeuses conjectures statistiques. Mais vainement. Les conjectures sont faites pour s'y perdre. Gilbert  s’en tient plutôt à ses intimes convictions.

Six boules c’est débile, c'est du bol. Mais c'est comme ça. Les numéros tournent dans sa tête. Ils sont autant d'étoiles magiques, autant de vitrines de magasins, autant de trucs qu'il pourra s'offrir, autant de folies payées cash, autant de tour-operators, d'hôtels de luxe, de séjours sous les palmiers, de placements immobiliers, d'échappées en 4X 4, de cadeaux à ses ex et futures maîtresses et aussi à sa femme légitime.

Jusqu'à présent son existence était miteuse, cafardeuse. Mais l'insecte qu'il était attendait son heure. La grille qu'il a en main l’affranchira des contingences matérielles et morales. Dire merde au chef de service, offrir un Davidoff au big boss, sans rancune aucune. Ne plus avoir à lutter pour sa survie. S’offrir un bon fauteuil en cuir avec de bons accoudoirs et siroter un bon cognac. Poser ses fesses en attendant la mort.

C’est une question de semaine, il le sait. Un jour ou l’autre, ils vont tomber, les numéros qu'il a cochés. Le hasard fait toujours bien les choses. Gilbert est convaincu que ce jour est aujourd'hui. Il entre dans le bar-tabac enfumé et prend place dans la queue, parmi les anoraks usés, les cheveux gras et les effluves de tabac froid. Une fois par semaine, il daigne se coltiner le bas-monde. Ces meutes de pauvres gens qui végètent dans l'univers des anisettes, du bingo et du gratte gratte, en rêvant un jour d'arrondir leur début de mois. Serein et détaché, il porte un regard bienveillant sur ces laissés pour compte, ceux qui habitent à plein temps dans la cour des miracles, accrochés à l'espoir fou que la chance puisse être rétribuée au mérite.

S'ils savaient... Leurs grilles ne peuvent pas être gagnantes. C'est impossible qu'ils aient coché les mêmes cases que les siennes. Enfin, statistiquement, il y a une chance sur 13 983 816.

Gilbert tend  la grille au buraliste. L'émotion est palpable mais il garde la tête froide. Rien sur lui n'indique, quand il ressort discrètement du bar, qu'il vient d'opter pour le statut de multi-milliardaire. Il lui a suffi de cocher six croix aux bons endroits. Pendant quelques heures encore et jusqu'à 20 H 30, Gilbert est le roi du monde.

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